L'universite ou j'etudie, Tsinghua University (prononcer tching'roua), a ete fondee en 1911 et va donc bientot feter son premier centenaire. Avec Beida, l'universite de Pekin, ce sont les deux universites les plus reputees de Chine. Mais ici, quand on dit repute, ca n'a aucune commune mesure avec tout ce que l'on peut voir en France a propos de n'importe quelle universite ou ecole. Non, ici, les petits chinois se voient mettre des leur plus jeune age ces universites en objectifs de toute une enfance.
Et leur enfance sera effectivement une succession d'examens, de concours, jusqu'a decrocher ou non le precieux sesame pour ces etablissements de renom, pour la plus grande joie ou deception de leurs parents et grands-parents. Le systeme educatif chinois tout entier est en effet une gigantesque machine a concours, pas forcement justes, equitables ou bien penses.
Les chinois rentrent a l'ecole comme nous, a 6 ou 7 ans. A moins bien sur qu'on n'ait commence a leur apprendre a lire ou a parler l'anglais plus tot. Mais en general, a cet age la, tout va bien. Ils ont evidemment deja entendu parler des deux universites pekinoises, mais jusqu'ici sans pression superflue.
Viennent ensuite 6 annees d'ecole primaire, dont l'objectif premier est de leur apprendre a lire et a ecrire, ce qui requiert logiquement plus de temps que chez nous, puisqu'il leur faut avaler plusieurs milliers de caracteres avant de quitter le statut d'illettre. Ils passent ensuite au college, sans (pour l'instant) avoir a passer d'examen particulier. Ils restent donc encore a la maison pendant trois annees supplementaires, jusqu'a arriver a l'examen d'entree au lycee, le zhongkao (中考). En fait, pour comparer avec la France, c'est un peu comme s'ils entraient en classes prepas a 15 ans, juste apres le college. Et il leur faut donc integrer un bon lycee, pour pouvoir espere avoir une chance de ne pas decevoir les esperances tres -trop- hautes de leurs parents. Le petit empereur de la maison, souvent gate pourri dans son enfance, commence alors une vie de stress et de pression, car les trois annees passees au lycee le sont avec l'objectif omni-present d'etre admis dans une bonne universite. Je n'ai pas eu d'echos trop mauvais du zhongkao, mais c'est surement parce que mes camarades, s'ils sont ici, n'ont pas du avoir trop de problemes a ce moment. Ou alors, plus vraisemblablement, parce que le gaokao (高考), examen de fin du lycee et surtout concours d'entree a l'universite, les a beaucoup plus traumatises.
Passons vite sur les annees de lycee et allons plutot directement a l'essentiel, le gaokao, sorte de guillotine finale coupant court aux esperances d'une large majorite des jeunes lyceens, et surtout de leurs familles. Les chinois sont trop nombreux, phrase culte s'il en est, s'applique une fois de plus particulierement ici. Cet examen de deux ou trois jours concerne chaque annee 10 ou 20 millions de lyceens, et beaucoup plus si l'on tient compte des familles, qui stressent generalement plus que leur (unique) rejeton. Je n'ai pas encore vecu cette periode en direct, mais apparemment la Chine entiere se focalise sur l'evenement annuel, une chaine de tele retransmet en direct l'epreuve d'anglais, des motards sont requisitionnes pour amener des eleves en retard, et des millions de parents attendent anxieusement a la porte des salles d'examen.
Tout leur avenir -ou presque- se joue en deux jours. Epreuve de maths, de chinois, d'anglais, de sciences dures ou humaines en fonction de la specialite, et c'est tout. Plus qu'a attendre les resultats. Mais cette attente ne se fait pas sans stress, puisque s'ajoute un aspect interessant du probleme, celui de la formulation des voeux.
Les eleves ont le droit a trois voeux, et cela a un aspect tres pervers. Il est en effet inutile de classer Beida en 1 et Tsinghua en 2, si la premiere n'a pas voulu de leur candidature, la deuxieme, ayant fait le plein d'eleves en premier choix, ne va meme pas la regarder. Cela oblige a estimer avec precision sa performance, et a mettre grosso modo une bonne universite en choix 1, une de classe moyenne en choix 2 et une tres peu connue en choix 3, sous peine de n'etre admis au final nulle part. Ces choix se font bien sur avant l'annonce des resultats. Et, des fois que la pression ne serait pas suffisante, dans certaines regions cela se fait meme avant d'avoir compose... Je n'ai entendu cela que pour Pekin, et les chinois qui me l'ont explique ont rajoute un "bien fait pour eux, c'est deja assez inegal comme ca !".
Car les places sont allouees par region, pas au niveau national. Et les pekinois, non contents de concentrer dans leur ville un nombre incalculable d'universites, ont aussi beaucoup plus de places relativement dans les universites pekinoises que leurs compatriotes provinciaux. Avec un nombre de points a obtenir plus faible que les autres, et avec un niveau social -donc d'education- plus eleve que dans les provinces moins developpees, les pekinois (et les shanghaiens a Shanghai) sont donc injustement favorises, ce que les proviniciaux ne manquent pas de rappeler.
Les provinces du Shandong, du Henan, du Sichuan ou encore du Guangdong comptent chacune environ 100 millions d'habitants. Et il y a environ 100 places pour chacune a Tsinghua, et sans doute autant a Beida. Autant dire que la selection est rude... Mais a ces 100 places, il faut encore retrancher les quelques dizaines d'etudiants particulierement brillants recrutes directement sans meme avoir a passer d'examen. Une amie en premiere annee a ete recrutee ainsi, et ils etaient 10 dans sa classe dans le meme cas. On comprend mieux l'importance du zhongkao, pour pouvoir acceder a un bon lycee...
Apres ce calvaire, generalement un bon souvenir pour personne, il est enfin possible d'entrer a l'universite. Mais, pour ceux qui ont eu la chance d'etre pris dans un bon etablissement, la bataille est loin d'etre finie. Il faut encore 4 annees d'acharnement, et obtenir son diplome de bachelor parmi les meilleurs de sa promotion, pour obtenir la peut-etre encore plus precieuse admission dans une universite etrangere. Le reve americain est bien present ici, meme si par la force des choses il se transforme petit a petit en reve europeen, avec la fermeture des frontieres etats-uniennes.
Mais que ceux admis dans une universite de renom moindre se rassurent, pour ceux qui le veulent la bataille n'est pas finie, il est encore possible de passer l'examen de fin de bachelor pour etre admis en master dans une universite plus prestigieuse, afin de remplacer les departs a l'etranger... Dans ma classe de 65, plus de la moitie des gens ont suivi ce parcours ! On peut comprendre qu'ils commencent a ressentir une sorte de lassitude...